Le site de Madeleine et Pascal
Accueil > Nos racines > Virignin > Variations sur les noms de quelques lieux

Variations sur les noms de quelques lieux

Bulletin municipal de juillet 1990 et d’octobre 1996
5 octobre 2017, par Raymond Vanbrugghe

Dans le bulletin municipal de juillet 1990

Le nom de Virignin

Ce nom découle très vraisemblablement de l’existence, aux premiers siècles de notre ère, d’une exploitation agricole, qu’on peut situer, d’après les vestiges archéologiques, au nord du village.

Nous pouvons supposer que cette exploitation agricole appartenait à un certain Virinius et qu’elle s’appelait Virignanum, bien que nous n’ayons aucun texte où figure cette dénomination. Cette hypothèse s’appuie sur les arguments suivants :

Le nom des exploitations agricoles gallo-romaines (villas) est formé très souvent du nom de leur propriétaire suivi d’une terminaison gauloise, acum, ou latine, anum.

Lorsque les actes notariés cesseront d’être écrits en latin, on constatera que ces terminaisons, dans le langage courant, ont évolué différemment selon les régions.

Exemple pour la terminaison acum : Viriacum (propriété de Virius) est devenu Viriat en Bresse, Virieu en Bugey et en Dauphiné, Virey dans la Haute-Saône, Viry dans le Jura.

Viriniacum (propriété de Virinius) est devenue Virigneux dans la Loire, Vrigny dans le Loiret, Vrigny dans la Marne.

La terminaison anum, moins fréquente, a donné in dans le Bugey et en Savoie. Ainsi est-il possible de faire remonter Trevignin à Treboni-anum (propriété de Trebonius), Charignin à Carini-anum (propriété de Carinus), Virignin à Virini-anum (propriété de Virinius).

Le nom des Virignolans

Ce nom, on le voit, ne découle pas de l’étymologie. On peut l’expliquer facilement par l’abondance en Bugey, et dans le voisinage, des localités en ieu.

Les habitants de ces localités se sont appelés légitimement, par nécessité euphonique, Viriolans, Peyriolans, Cremiolans etc.

Les habitants de Virignin, sans chercher plus loin, ont adopté la même solution. Il n’y a pas de quoi en faire une maladie. Les habitants de Cognin s’appellent bien, encore plus bizarrement, les Cognerots !

Raymond Vanbrugghe poursuit sa réflexion dans le bulletin d’octobre 1996

Virinius a-t-il existé ?

Trois Virinius ont, de façon certaine, donné leur nom à des communes de France :
-  Virigneux dans la Loire, dont on connaît la forme ancienne : Viriniacum
-  Vrigny dans le Loiret, forme ancienne : Viriniacus.
-  Vrigny dans la Marne, forme ancienne : Viriniacus également.

En français moderne, une façon courante de désigner la propriété d’untel consiste à faire suivre son nom de la terminaison ière, exemple à Virignin : La Remondière, propriété de Raymond ; La Picardière, propriété de Picard. Pour Virigneux et les deux Vrigny, les Gallo-Romains ont utilisé les terminaisons en acum ou acus qui avaient le même sens que notre terminaison ière.

Dans la partie la plus romanisée de la Gaule, concurremment aux terminaisons acum ou acus qui étaient des terminaisons gauloises, on a souvent utilisé dans le même sens une terminaison anum, terminaison latine.
Ainsi, la propriété de Frontinius s’est appelée Frontinianum, aujourd’hui Frontignan (Haute-Garonne). Les nombreuses terminaisons en gnan du midi ont donné gnin dans notre région (prononciation locale).

Ainsi, le propriétaire Colonius a appelé sa propriété Colonianum, qui a donné, après contraction, Cognin (Isère).
Autres exemples, pour tout résumer, un propriétaire Carinius pouvait appeler sa propriété, à la mode gauloise, Cariniacum, qui est devenu Charigny, en Côte-d’Or ; plus au sud, un autre Carinius a appelé sa propriété à la mode latine : Carinianum, devenu Carignan en Gironde ; un troisième Carinius, installé en Bugey, a appelé également sa propriété Carinianum, devenu ici Charignin (lieux-dits à Belley et Virignin). Virinius est donc bien le propriétaire de Virinianum, qui a donné son nom à Virignin.

Virignolane ou Virignolanne ?

J’ai eu l’occasion d’écrire que le nom d’origine Virignolan était peu conforme à l’étymologie, mais un usage bien établi fait autorité. Par contre, à lire les journaux, l’usage est hésitant pour le féminin, qu’on écrit tantôt avec une finale ane tantôt une finale anne. Les choses ne paraissent pas mieux fixées pour le féminin de Belleysan.
Sur ce point, le bon usage est, sans hésitation, de ne mettre qu’un n à cette finale, comme pour les autres féminins des masculins en an : Bressane, Mosellane, Gallicane, Courtisane, Musulmane, Andorrane et beaucoup d’autres. Cela fait peut-être plus gai avec deux n mais il n’en faut qu’un.

Est-ce par un souci de décence qu’on appelle chemin de la Folatière la voie communale qui, venant de l’ouest, débouche sur la nationale en face de la mairie-école ?

Au plan cadastral, ce chemin est désigné comme chemin de la Cattin, et il y a, sur son parcours, un lieu-dit (habité) La Cattin.

Voilà un sujet sur lequel je me suis penché il y a pas mal d’années.

À l’époque, avec quelques amis et avec la bénédiction des autorités compétentes, je fouillais les fossés d’un vieux château, incessamment voués à la pelleteuse, pour cause d’urbanisation.

En face des fenêtres de ce qui avait été la cuisine, on récupérait dans la vase la vaisselle cassée que des servantes expéditives avaient prestement balancée au fossé.

Au droit d’autres fenêtres, la truelle rencontrait d’abord une mince couche de paille plus ou moins transformée en tourbe. Cette paille pourrie regorgeait de menus objets ayant visiblement appartenu à des militaires des débuts de la Révolution : un contingent de troupe avait couché dans la paille et de temps en temps, par hygiène, on avait évacué cette paille au fossé, à grandes fourchées, avec tout ce qu’on y avait perdu.

Au nombre des trouvailles d’un dimanche matin, il y avait un manche de cuillère percé d’un trou de suspension et maladroitement gravé d’un nom : Caton.

N’ayant à ce moment-là aucune idée du lieu de recrutement des troupes qui avaient cantonné là, et voyant dans ce nom un indice à exploiter, je me rendis le samedi suivant au bureau de poste, pour chercher, dans les annuaires téléphoniques, où pouvaient habiter des Caton. Un rapide sondage sur les grandes villes m’en montra seulement à Lyon, mais peu. Le tour des départements limitrophes fit apparaître la concentration la plus forte en Saône-et-Loire ; du côté de la Savoie, très peu de Caton, mais des Catin, avec un ou deux t en quantité.

Le lendemain, la fouille livra deux boutons d’uniforme en laiton, marqués : Garde Nationale Autun. Ayant, par la suite, eu entre les mains un dictionnaire des noms de personnes, j’y appris que Caton et Catin étaient des hypocoristiques féminins à forme masculine de Catherine. Quand vous dites Marion à une Marie, ou Madelon à une Madeleine, vous utilisez sans le savoir des hypocoristiques féminins à forme masculine. De nos jours, on invente encore des hypocoristiques, mais de préférence en y, comme Mady ou Cathy, qui font américain.

Les noms de famille ont été instaurés au XIIIe siècle ; quand cela intervint, certains prirent le nom de leur mère, exemple : Lamartine ; à Virignin, on a connu une dame Alamartine (à la Martine, le fils à la Martine). Ainsi, des gens tout-à-fait honorables ont été enregistrés du nom de leur mère : Catin ou Cattin, et ils ont gardé ce nom quand, trois siècles plus tard, le mot a pris le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. La Cattin signifie donc tout bêtement la terre d’un certain Cattin. Comme on voit, il n’y a pas de quoi en faire une histoire.

La fontaine des Guillermettes

Quand les gens n’avaient qu’un nom de baptême, pour éviter les confusions de personnes, on pouvait, entre autres moyens, multiplier les variantes de ce nom. Ainsi un Guillaume pouvait s’appeler Guillet, Guillon, Guillou, Guillaumet, Guillemet, Guillaumin, Guillemin, Guilleminot, Guillerme, Guillermin, Guillermet et j’en passe. La fontaine des Guillermettes doit vraisemblablement son nom au fait que sa source était aux Guillermettes, terre d’un certain Guillermet.

Le Raffour

Autrefois, quand on avait à construire une bâtisse de quelque importance, on fabriquait la chaux nécessaire à proximité. Pour cela, on établissait, dans un endroit où abondaient blocs calcaires et bois de chauffe, un raffour, sorte de grande meule creuse en pierres sèches ; le creux, servant de foyer, était alimenté sans faiblir pendant trois jours, au bout desquels les pierres fusaient, donnant la chaux. Une fois la chaux récupérée, le raffour ne laissait pas de trace plus durable qu’une meule de charbonnier.
De même qu’on a connu, dans les villages, des spécialistes qu’on faisait venir pour présider au sacrifice du cochon et aux salaisons, il y avait des spécialistes qu’on appelait pour monter un raffour et surveiller le bon déroulement des opérations. Et, de même que là où il y avait des ponts, il y avait des Dupont, là où on faisait des raffours, il y avait des Duraffour.

Le grand Ferment

Vers l’endroit où se croisent Chemin de Montarfier et Chemin de Pittiou, il devait y avoir autrefois une borne marquant sans doute la limite de deux juridictions. Cette borne était le Grand Terment. Une mauvaise lecture du cadastre de 1835 a fait rebaptiser ce lieu Grand Ferment, ce qui ne veut rien dire. Mettre un terme à une discussion, c’est la terminer. Au Moyen Âge, le géomètre s’appelait le Termineur, et il posait des Terments.

La fontaine Saint-Sorlin

Dans leur ouvrage, Le Bugey, La Terre et les Hommes, paru en 1951 à Belley, Gabrielle et Louis Trénard, évoquant les traces des cultes anciens, mentionnent le culte de Saturne à Virignin, sans autre précision. Je suppose que les auteurs n’ont fait que relayer l’opinion de quelque érudit, reposant sur le fait qu’il existe à Virignin un lieu-dit Saint-Sorlin et une fontaine Saint-Sorlin. Saint Sorlin est le nom régional de Saint Saturnin. L’hypothèse serait alors que, pour venir à bout d’un culte à Saturne, l’Église y aurait institué le culte de Saint Saturnin. Simple supposition, mais ici appuyée sur rien.

Saint Saturnin est connu comme apôtre de Toulouse, martyrisé au IlIe siècle. Il a donné son nom à une trentaine de communes de France, mais le plus souvent sous des formes peu reconnaissables à première vue : Saint-Cernin, Saint-Savournin, Saint-Sernin, Saint-Sorlin. Même à Toulouse, où il subit le martyre, la basilique romane qui lui est dédiée est la basilique Saint-Sernin.

Quand, en 1360, le comte Vert vendit à l’évêque de Belley la juridiction sur une partie de la châtellenie de Pierre-Châtel, la nouvelle délimitation descendait de la montagne par la Touvière usque as fontem sancti saturnini (jusqu’a la fontaine Saint-Sorlin).

Il est probable que, plus anciennement, la source pérenne qui alimente cette fontaine couvrait les besoins en eau de la villa de Virinius, au quartier de La Chapelle, où existent encore les restes d’un aqueduc souterrain incontestablement gallo-romain.

La Bassache

La Bassache, ruines sur le chemin de Nant à Pierre-Châtel, a aussi sa source, qui alimente un vaste abreuvoir, une Bachasse, abusivement rebaptisée Bassache. Il n’y a pas que sur les chemises de l’archiduchesse qu’il arrive à la langue de fourcher.


Article mis à jour le 21 octobre 2017